samedi 13 juin 2020

The Chrono(lo)gical Chu Berry 1937-1941 (Classics).


Classics 784 (1994). 

Chu Berry and his Stompy Stevedores: Hot Lips Page (trompette, vocal sur 1 et 3), George Matthews (trombone), Buster Bailey (clarinette), Chu Berry (saxo ténor), Horace Henderson (piano), Lawrence Lucie (guitare), Israel Crosby (contrebasse), Cozy Cole (batterie). New York, 23 mars 1937. 

1. Now You're Talking My Language (Koehler-Mitchell-Stept) 2:55
2. Indiana (MacDonald-Hanley) 2:46
3. Too Marvelous for Words (Mercer-Whiting) 2:54
4. Limehouse Blues (Farber-Braham) 2:52

Chu Berry and his Stompy Stevedores: Irving Randolph (trompette), Keg Johnson (trombone), Chu Berry (saxo ténor), Benny Payne (piano, vocal sur 7), Danny Barker (guitare), Milton Hinton (contrebasse), Leroy Maxey (batterie). New York, 10 septembre 1937. 

5. Chuberry Jam (Berry) 2:17
6. Maelstrom (Berry) 2:47
7. My Secret Love Affair (Mitchell-Pollack) 2:50
8. Ebb Tide (Robin-Rainger) 2:45

Chu Berry and his "Little Jazz" Ensemble: Roy Eldridge (trompette), Chu Berry (saxo ténor), Clyde Hart (piano), Danny Barker (guitare), Artie Shapiro (contrebasse), Sidney Catlett (batterie). Dialogue au début de Sittin' In par Eldridge et Berry. New York, 11 novembre 1938. 

9. Sittin' In (Gabler) 2:09
10. Stardust (Carmichael-Parish) 3:52
11. Body and Soul (Green-Sour-Heyman-Eyton) 3:49
12. Forty-Six West Fifty-Two (Berry-Gabler) 2:28

Chu Berry and his Jazz Ensemble: Hot Lips Page (trompette, vocal sur 16, absent sur 14), Chu Berry (saxo ténor), Clyde Hart (piano), Albert Casey (guitar), Al Morgan (contrebasse), Harry Jaeger (batterie). New York, septembre 1941. 

13. Blowing Up a Breeze (Berry-Page-Gabler) 2:38
14. On the Sunny Side of the Street (McHugh-Fields) 3:50
15. Monday at Minton's (What's It to You?) (Berry-Page-Gabler) 2:53
16. Gee, Ain't I Good to You? (Redman) 4:05

Chu Berry et Charlie Ventura (saxos ténors), accompagnés par saxo ténor, pianiste, contrebassiste et batteur inconnus. 1941. 

17. Dream Girl - Part 1 (trad.) 2:00
18. Dream Girl - Part 2 (trad.) 2:25
19. Get Lost - Part 1 (trad.) 2:01
20. Get Lost - Part 2 (trad.) 2:02

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Parmi les nombreux saxos ténors héritiers de Coleman Hawkins qui se distinguèrent au sein des big bands des années 1930 (en plus de Ben Webster, on pourrait citer Dick Wilson, Herschel Evans, Walter "Foots" Thomas, Elmer "Skippy" Williams, Teddy McRae, Gene Sedric, Cecil Scott, Ted et Castor McCord, entre autres), Leon "Chu" Berry (1908-1941) fut sans doute le plus brillant. Après avoir débuté avec l'orchestre de Sammy Stewart à Columbus, Ohio, Berry allait s'imposer auprès de Benny Carter, Teddy Hill, Fletcher Henderson, et enfin Cab Calloway. Doté d'une sonorité large et d'un phrasé généreux, il savait livrer des solos swinguants et véloces autant au sein des orchestres déjà cités que lors de sessions en petits groupes, par exemple sous la direction de Teddy Wilson ou surtout de Lionel Hampton, avec qui il grava les classiques Shufflin' at the Hollywood et Hot Mallets, entre autres. Disparu à 33 ans dans un accident de la route, Berry n'a laissé qu'une poignée de faces sous son nom, toutes réunies sur cette anthologie. 

Si le départ de Coleman Hawkins de l'orchestre de Fletcher Henderson pour rejoindre l'Europe allait laisser le champ libre à ses jeunes rivaux, il est significatif qu'après avoir fait appel à Lester Young (dont le style et le tempérament étaient plutôt incompatibles avec cet environnement), Henderson ait jeté son dévolu sur Berry. Au sein d'un orchestre déjà en déclin, le ténor originaire de Virginie occidentale allait apporter un souffle certain, en tandem avec un autre bouillant soliste au début de son ascension, le trompettiste Roy Eldridge. Les deux ajoutent une bonne dose de sang neuf aux enregistrements de Henderson de la période, comme Christopher Columbus ou Stealin' Apples. Un rapide coup d'oeil au personnel de la première session des Stompy Stevedores de Berry révèle une formation tirée des cohortes hendersoniennes (Buster Bailey, Lawrence Lucie, Israel Crosby, et le propre frère de Fletcher, Horace Henderson, au piano), en plus d'une des vedettes du Smalls Paradise, le trompettiste et chanteur Hot Lips Page, arrivé à New York de Kansas City l'hiver précédent. Leur Limehouse Blues, une des meilleures versions jamais gravées de cette chanson déjà quelque peu démodée, est doté d'un solo caractéristique de Berry et d'un arrangement très simple faisant usage de riffs. Entre la session de mars et celle de septembre, le saxophoniste avait rejoint l'orchestre de Cab Calloway, auquel il est sans doute encore le plus associé; cette transition est évidente lorsqu'on compare le personnel de cette deuxième mouture des Stompy Stevedores à celui de la première: les «hendersonites» sont remplacés par les «callowayiens» Irving Randolph, Keg Johnson, Benny Payne, Danny Barker, Milt Hinton et Leroy Maxey. Tout comme pour Limehouse Blues, Maelstrom et Ebb Tide sont dotés d'arrangements sommaires typiques du Swing et surtout prétextes à lancer les solos dynamiques du leader.

Chu Berry and his "Little Jazz" Ensemble jouent Sittin' In, enregistré pour l'étiquette Commodore en 1938: Roy Eldridge (trompette), Chu Berry (saxo ténor), Clyde Hart (piano), Danny Barker (guitare), Artie Shapiro (contrebasse), Sidney Catlett (batterie). 

La session indispensable de cette compilation est sans aucun doute celle du "Little Jazz" Ensemble de novembre 1938 pour le jeune label Commodore: retrouvant son vieux comparse de chez Fletcher Henderson, Roy Eldridge, Berry est au sommet de son art, soutenu par une solide section rythmique formée du très sous-estimé pianiste Clyde Hart, de l'efficace Danny Barker à la guitare, du contrebassiste Artie Shapiro (que Berry avait côtoyé chez Wingy Manone), et du grand Sid Catlett à la batterie. Si le court Sittin' In et Forty-Six West Fifty-Two (adresse de la boutique Commodore à New York) sont très justement devenus, par l'interaction dynamique entre Berry et Eldridge, des classiques du Swing en petite formation, les deux ballades, Stardust et Body and Soul, comptent également parmi les plus belles interprétations des années 1930, pas très loin derrière les versions plus connues de Louis Armstrong et Coleman Hawkins. 

Si l'activité de Berry au sein de l'orchestre de Cab Calloway lui permit souvent de briller comme soliste (pensons par exemple à ses versions de Ghost of a Chance ou de Lonesome Nights), le saxophoniste allait aussi accepter d'autres engagements occasionnels (tels un court passage chez Count Basie en 1939). Cependant, c'est sans doute, comme pour plusieurs de ses contemporains, dans des sessions after hours dans les clubs de Harlem ou de la 52e rue en pleine effervescence, que Berry donna le meilleur de lui-même; sa deuxième session pour Commodore en 1941 est sans doute la plus représentative de ce genre d'atmosphère. Retrouvant Clyde Hart et Hot Lips Page, habitué du légendaire Minton's (où les Dizzy Gillespie, Charlie Christian et autres Thelonious Monk allaient bientôt jeter les bases du bebop), Berry livre encore une fois quelques solos échevelés sur Blowing Up a Breeze  et Monday at Minton's alors que son style romantique est de nouveau superbement sollicité sur On the Sunny Side of the Street, qu'il livre seul avec la section rythmique. 

Si Berry peut revendiquer une certaine influence, son héritier le plus direct a sans doute été le saxophoniste Charlie Ventura, qui allait connaître une certaine popularité à la fin des années 1940 avec son Bop for the People. En 1941, Ventura n'avait pas encore rejoint l'orchestre de Gene Krupa, et les quatre extraits gravés auprès de Berry démontrent ce que le jeune ténor devait à son aîné. Les deux pièces, probablement enregistrées lors d'une session non-officielle dans un club, sont en fait des progressions d'accords connues, soit All of Me (Dream Girl) et Blue Lou (Get Lost), qui était l'un des chevaux de bataille de Berry chez Fletcher Henderson. 

La disparition prématurée de Berry en octobre 1941 allait priver le monde du jazz en transition d'une figure majeure, et on peut légitimement spéculer sur la place qu'aurait occupée ce grand soliste dans la révolution du bebop, révolution qu'il ne manqua pas de préparer avec son phrasé sinueux et ses prouesses harmoniques sur les pièces au tempo rapide; d'un autre côté, sa sonorité large et ses aigus perçants allaient trouver des échos autant chez les continuateurs du style Swing comme Ike Quebec que chez les précurseurs du Rhythm & Blues comme Illinois Jacquet; de nos jours, un musicien comme James Carter, par exemple, l'a certainement écouté attentivement... 

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