Et voilà, le premier message de ce blogue.
Une page d'histoire pour commencer: je tenais à parler d'un musicien qui a connu une fin tragique, une auto-destruction involontaire, qui l'aura contraint à un quart de siècle de silence.
Mort en septembre 2007, le saxophoniste alto britannique Mike Osborne n'était pas très connu en dehors de la Grande-Bretagne, notamment à cause de son retrait de la scène musicale en 1982 pour raisons de santé. Souffrant de schizophrénie, il devait continuer de jouer en privé, mais ne retrouva jamais une santé mentale suffisante pour réapparaître en public. Doté d'un son puissant et d'un phrasé tranchant, initialement influencé par les Jackie McLean et Ornette Coleman, Osborne devait s'affirmer comme un musicien essentiel de la scène britannique, et assurément l'un des plus aisément identifiables. Son court solo sur Scarlet Mine, enregistré avec Harry Beckett en 1970 sur l'album "Flare Up" (Philips, réédition Jazzprint/Voiceprint), est un remarquable condensé de son style. On pourrait dire que sa carrière correspond à l'âge d'or du jazz anglais: d'abord révélé dans le Concert Band de Mike Westbrook à la fin des années 60, aux côtés de John Surman, Malcolm Griffiths, Harry Miller et Alan Skidmore, il devait croiser au fil des ans tout ce que la scène londonienne comptait de grands noms, des exilés sud-africains Chris McGregor, Dudu Pukwana et Louis Moholo aux pionniers de la musique improvisée de la trempe des John Stevens, Evan Parker et Paul Rutherford. Il allait disparaître de la scène au début des années 80, alors que le free jazz n'avait plus la cote, et que nombre des ses anciens collègues devaient soit changer de direction, soit revenir à un jazz plus sage, soit... ronger leur frein. Peu enclin à la composition à grande échelle, Osborne était avant tout un joueur, et ses meilleurs disques proviennent de concerts, où ce bouillant styliste pouvait s'épancher à loisir, alternant thèmes simples et chantants et improvisations débridées, un peu à la manière du Don Cherry des années 60. Deux parutions de 2008, une réédition augmentée et un inédit, nous permettent de l'entendre au sommet de sa forme.
Mike Osborne Trio: All Night Long: The Willisau Concert
Ogun OGCD 029
Après une reprise de "Border Crossing" (1974) et "Marcel's Muse" (1977), Ogun réédite maintenant ce qui est peut-être le meilleur disque d'Osborne, ce concert suisse de 1975. Le CD (dans une jolie pochette mini-LP, comme c'est l'habitude de la maison) ajoute une pièce au programme original, plus une longue plage du même trio et de la même époque. Ce trio, c'est le groupe le plus connu d'Osborne, avec le contrebassiste Harry Miller (lui aussi disparu au début des années 80, dans un accident de voiture) et le batteur Louis Moholo. All Night Long débute avec un thème d'une grande simplicité, exposé par l'alto et la contrebasse se répondant, puis Moholo entre, et on se retrouve rapidement dans un dialogue à trois, sans autre répit que les thèmes qui jaillissent tout au long de la performance, continue, mais séparée ici par les différentes plages du CD. Rivers est une cascade de notes d'alto, de contrebasse, et de ponctuations de la batterie, qui se résout dans une exposition surprenante de 'Round Midnight de Thelonious Monk. Miller est un interlocuteur parfait, saisissant au vol les idées du saxophoniste et les transposant immédiatement, soutenant l'ensemble et délivrant ses solos agiles avec une sonorité large qui n'aurait pas fait honte à un Charles Mingus. Moholo tire sur tout ce qui bouge, empilant les rythmes les uns par-dessus les autres, comme dans la première version de Scotch Pearl, où dans un swing accélérant sans cesse, il réussit à intégrer des accents à la caisse claire, comme dans une bossa-nova désarticulée. La performance se termine sur une reprise de ce même Scotch Pearl, qui se désagrège finalement dans quelques phrases du saxophoniste. À plus de 22 minutes, Now and Then, Here and Now (de provenance inconnue) représente un bonus substantiel, malgré un enregistrement plus étouffé (on perd un peu la magnifique sonorité de Miller ici). Mais l'invention et l'intensité d'Osborne sont intactes, et il se laisse même aller à quelques cris à la Albert Ayler. Une généreuse réédition (plus de 78 minutes!) et un document exceptionnel de cette période faste.
Mike Osborne: Force of Nature
Reel Recordings R.R. 006
Paru sur un label ontarien qui semble se spécialiser dans les bandes inédites de musiciens britanniques, "Force of Nature" est une autre addition de taille à la discographie d'Osborne, puisqu'il documente pour la première fois sur disque le dernier groupe du saxophoniste, un quartette qu'il dirigea de 1979 à 1982, avec le trompettiste Dave Holdsworth et différentes sections rythmiques. C'est l'excellent mais peu connu Marcio Mattos qui tient la contrebasse auprès du batteur Brian Abrahams pour la pièce de résistance de l'album, baptisée Ducking & Diving, un set de 42 minutes enregistré à Cologne en octobre 1980. La trompette de Holdsworth (dont la sonorité n'est pas sans rappeller Tomasz Stanko par moments) vient quelque peu tempérer le jeu volubile d'Osborne, qui semble toujours en pleine possession de ses moyens. Vers le milieu de la plage, Holdsworth improvise un remarquable duo avec Mattos, qui devient un trio, avant qu'Osborne ne relance les hostilités avec une série de thèmes bluesy qui semblent sortir tout droit d'une session Blue Note des années 50-60. Le trompettiste rend par ailleurs un bel hommage au saxophoniste dans les notes de pochette, mentionnant que, selon lui, le quartette n'a jamais mieux joué qu'à Cologne. On serait plutôt porté à être d'accord avec lui. Mais les deux pièces suivantes, enregistrées à Londres en avril 1981 celles-là, ne sont pas mal non plus. C'est Paul Bridge qui tient la contrebasse, et le dynamique Tony Marsh la batterie. Une autre parution importante, qui aide à compléter le portrait d'un musicien réduit trop tôt au silence.
La discographie d'Osborne est, on l'aura deviné, plutôt maigre. On pourra rechercher, entre autres:
"Outback" (Turtle, 1970, réédition FMR), avec Harry Beckett, Chris McGregor, en plus de Miller et Moholo.
"Outback" (Turtle, 1970, réédition FMR), avec Harry Beckett, Chris McGregor, en plus de Miller et Moholo.
"Shapes" (inédit, 1972, publié par FMR), avec John Surman, Alan Skidmore, Miller, Earl Freeman et Moholo.
"Trio & Quintet" ("Border Crossing + Marcel's Muse") (Ogun, 1974 & 1977), avec Miller et Moholo, et avec Marc Charig, Jeff Green, Miller et Peter Nykyruj.
"SOS" (Ogun, 1975), avec Skidmore et Surman.
John Stevens Trio: "Live at the Plough" (inédit, 1979, publié par Ayler Records), avec Paul Rogers.
...plus les albums de Mike Westbrook, John Surman, Chris McGregor, Harry Beckett, Alan Skidmore, Kenny Wheeler (Song For Someone), Harry Miller (et son excellent sextette Isipingo) sur lesquels il apparaît. Sans oublier cet obscur joyau de 1969 réédité par amis de la Downtown Music Gallery: l'unique album du batteur Selwyn Lissack (et son groupe baptisé Friendship Next Of Kin): "Facets of the Universe".
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