samedi 20 novembre 2021

James Newton: Luella (Gramavision, 1983).



Gramavision GR 8304 (1984). 

James Newton (flûte, direction sur Luella), John Blake, Gayle Dixon (violon), Abdul Wadud (violoncelle), Jay Hoggard (vibraphone), Kenny Kirkland (piano), Cecil McBee (contrebasse), Billy Hart (batterie). Bearsville Studio, Bearsville, New York, 1983. 

Face 1: 

1. Not Without You (violon solo: John Blake) 5:43
2. Mr. Dolphy 7:53
3. Anna Maria 5:41

Face 2: 

1. Diamonds Are for Freedom 4:35
2. Luella (For My Aunt) (violon solo: Gayle Dixon) 16:40

Toutes les compositions et arrangements sont de James Newton, sauf Anna Maria, composée par Wayne Shorter. 

Produit par James Newton et Jonathan F.P. Rose. 
Ingénieur du son: David Baker. 
Mixé par David Baker, James Newton, Jonathan F.P. Rose au studio Gramavision, New York City, 1983. 
Design de l'album par Neal Pozner. 
Illustration de la pochette: Frederick Brown, Stagger Lee, 1983. 
Photo du verso par Deborah Feingold. 

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Californien, élève de Buddy Collette, le flûtiste James Newton s'est affirmé dans les années 1970 et 1980 comme l'un des plus brillants disciples de Eric Dolphy. D'abord associé à la Black Music Infinity de Stanley Crouch (avec David Murray, Bobby Bradford et Arthur Blythe, entre autres) ou encore à l'entourage du clarinettiste John Carter, Newton s'est ensuite fait connaître surtout pour ses parutions en solo (par exemple le très beau Axum, sur ECM) et par une oeuvre souvent à cheval entre le jazz moderne et la musique de chambre (qu'on pourrait effectivement qualifier de Third Stream), notamment en collaboration avec le pianiste Anthony Davis et le violoncelliste Abdul Wadud (leur disque le plus connu étant sans doute I've Known Rivers, sur Gramavision). En plus de Dolphy, Newton revendique l'influence de compositeurs du champ jazzistique comme Billy Strayhorn (co-dédicataire du magnifique The African Flower, sur Blue Note), Charles Mingus (que Newton a évoqué sur Romance and Revolution, également sur Blue Note), ou encore Wayne Shorter (auteur de la seule pièce non-originale sur Luella, Anna Maria). Si certains des projets du flûtiste-compositeur font appel à des textures instrumentales peu courantes dans le jazz (on pense par exemple à Water Mystery, disque qui fait appel à un ensemble de six vents auquel se greffent harpiste, contrebassiste, percussionniste et joueur de koto), l'instrumentation sur Luella, son deuxième disque pour Gramavision, est essentiellement articulée autour d'un quintette augmenté de cordes (les violonistes John Blake et Gayle Dixon, et l'acolyte de longue date de Newton, Abdul Wadud). C'est aussi une oeuvre très personnelle, la pièce-titre évoquant, sur plus de 16 minutes, la tante du compositeur, victime d'un homicide peu de temps avant l'enregistrement; c'est évidemment une pièce à l'atmosphère assez sombre, et, outre un bref solo de Newton qui explose autour de la sixième minute, ce sont surtout les voix entrecroisées des cordes qui évoquent le souvenir de cette parente disparue de manière tragique. Notons que si cette pièce est évidemment largement écrite, les différentes voix conservent tout de même un phrasé improvisationnel et des contours mélodiques qui semblent plus expressifs ici que dans certains quatuors à cordes modernes, bien qu'on retrouve certaines textures pouvant se rattacher à ce type d'oeuvre. Contrastant avec Luella (qui ferme le disque), la ballade Not Without You et la pièce de Wayne Shorter, Anna Maria, sont des mélodies plus sereines, alors que Diamonds Are for Freedom est une évocation de l'Afrique du Sud à l'ère de l'Apartheid, faisant contraster le passé pré-colonial (illustré par le vibraphone de Hoggard) et le combat qui faisait rage à l'époque (Newton est encore explosif ici). Mais la pièce centrale de l'album est évidemment la dédicace à l'inspiration majeure du flûtiste, Mr. Dolphy, où Newton utilise habilement les ressources instrumentales à sa disposition pour effectuer un rappel de deux oeuvres marquantes de Dolphy, soient Out to Lunch (même si Hoggard est un styliste beaucoup moins percussif que ne pouvait l'être le Bobby Hutcherson des années 1960) et Out There (avec la présence du violoncelle; on retrouve au coeur de la performance un solo magistral de Wadud). 

Si, du point de vue du répertoire jazzistique, on pourra préférer The African Flower (hommage à Ellington et Strayhorn où on retrouve également Blake et Hoggard), Luella demeure un jalon dans la carrière du flûtiste et compositeur, trouvant un équilibre entre ses ambitions compositionnelles et la part improvisationnelle essentielle à toute forme de jazz créatif. Se situant au centre du triptyque de Newton sur Gramavision, Luella est flanqué de l'éponyme James Newton (un disque un peu plus conventionnel dans la forme, mais qui évoque déjà Strayhorn, Mingus et Shorter, en plus de Monk et Andrew Hill) et du fascinant Water Mystery à l'instrumentation singulière; pris ensemble (on pourra leur ajouter Axum, qui les précède immédiatement), ils forment l'une des oeuvres les plus distinctes et les plus originales issues du jazz dans la décennie 80. 

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