vendredi 24 juillet 2015

Une petite page d'histoire (en attendant)


Si vous vous intéressez à l'histoire littéraire du Québec, si vous avez besoin d'une chambre noire, d'imprimerie ou de typographie à l'ancienne, si vous cherchez tel titre rare édité par Parti Pris dans les années 1970 ou si vous suivez un peu la scène musicale expérimentale montréalaise, vous connaissez sûrement La Passe. Librairie, musée (magnifique Médiathèque littéraire Gaétan Dostie), atelier, espace de concert et lieu culturel, ce joyau est installé dans un vénérable bâtiment de la rue de la Montagne, en plein centre-ville de Montréal. Dans ce quartier à l'ambiance généralement peu propice aux arts d'avant-garde et à l'histoire de la culture (et de la contre-culture), un groupe de jeunes bénévoles remue ciel et terre pour rendre cet endroit vivant et essentiel. Mais peut-être les graines de cet oasis moderne ont-elles été plantées il y a près d'un demi-siècle, à deux portes de là... 

En 1967, un trompettiste amateur et promoteur nommé Mike Armstrong déménage la série de concerts de jazz qu'il organisait auparavant au Moose Hall dans un café situé au 1191 rue de la Montagne, au sous-sol de ce qui est aujourd'hui le collège O'Sullivan : The Barrel (La Barrique). Si Armstrong est un moderniste convaincu (il adorait Thelonious Monk), son Atelier de Jazz (Jazz Workshop) restera dans l'histoire pour avoir présenté les premiers concerts réguliers de free jazz à Montréal. Dans cette cave mal chauffée, on ira entendre Archie Shepp, Sunny Murray, Paul Bley, Roswell Rudd, Grachan Moncur III et le grand Albert Ayler... Le quartette de Marion Brown avec Rashied Ali s'y produit pendant trois semaines.

Et c'est surtout là que se rencontrent quelques musiciens allumés, et qui allaient aussi allumer une mèche... (c'est sans surprise que leur propre café sera plus tard nommé l'Amorce). Le saxophoniste Jean "Doc" Préfontaine, le contrebassiste Maurice C. Richard et le batteur Guy Thouin, en plus d'y entendre les représentants les plus illustres du free jazz américain, y croiseront un trompettiste et révolutionnaire nommé Yves Charbonneau: ce sera l'un des actes de naissance du Quatuor de Jazz Libre du Québec... dont je compte bien vous reparler bientôt!

On peut consulter un compte-rendu évidemment « pété » du concert d'Albert Ayler par Patrick Straram ici : « Des gens sortent. C'est bon signe. Il y a de saines séparations naturelles. » (!!!!!)

On peut constater ici qu'on présentait également à la Barrique du théâtre expérimental (selon un guide touristique de l'Expo 67) : 



Et bien sûr, le lien pour les activités de La Passe! 

vendredi 12 juin 2015

Le silence


Ornette Coleman (1930-2015)


Le silence.


14 avril 2011. Plus de quatre ans que je n'avais plus rien écrit.

Quatre ans. Même pas un battement de paupière dans le Grand Ordre des Choses. Mais de notre point de vue minuscule, que de choses peuvent se passer pendant ce temps. Ou pire encore, combien de choses n'arrivent pas; combien les évènements quotidiens peuvent sembler se répéter en boucle, ad nauseam. Et on a beau serrer les dents, elle arrive quand même, la nausée. Elle nous déborde. Nous emporte. Nous submerge. Et nous laisse là, sur le bord du monde, à regarder passer les autres (ceux qui flottent encore), lancés dans cette course folle à on ne sait quoi au juste... On regarde passer et on se tait. Tout va trop vite, alors on ne dit rien. Les idées se bousculent quand même sous notre scalp, mais on n'a pas l'énergie de mettre tout ça en forme. Les centaines de mots que l'on alignait hier sans trop y penser, comme ça, parce qu'il fallait les mettre à temps sur le papier, tous ces mots on dirait maintenant qu'il faut les extraire avec des pinces, certains en faisant bien attention, d'autres en tirant d'un coup sec pour les arracher, mais toujours un par un. Et puis on les inspecte, on les tâte, on les arrange dans l'ordre qui nous semble acceptable. Et on doute, on les déplace, on en extrait d'autres pour les remplacer. Peut-être que ce n'était pas plus facile avant, finalement. Je n'en sais rien. Mais le tout est de briser le silence.

Le silence.


Ah oui, je vous vois venir avec votre John Cage... mais je pensais plutôt à Monk(*) et à son célèbre « trou » pendant son solo sur The Man I Love avec Miles. Oui, ce long silence qui obsédait André Hodeir. À quoi pouvait-il bien penser pendant ces quelques secondes? A-t-il laissé son esprit vagabonder ou voulait-il faire un pied-de-nez à Miles? On ne le saura jamais, puisque tous les acteurs de ce mini-drame se sont tus. Car il y a aussi le Grand Silence. Pas celui de Corbucci avec Trintignant et Klaus Kinski, non, l'autre, celui que nous devons tous rejoindre un jour. Tenez, pendant ces quatre anées combien de musiciens ont rejoint la grande jam session céleste? Joe Morello, Ray Bryant, Bob Brookmeyer, Sam Rivers, Frank Foster, Billy Bang, Gil Scott-Heron, Sultan Khan, George Shearing, Paul Motian, Von Freeman, Dave Brubeck, Ravi Shankar, Herb Geller, Ronald Shannon Jackson, Yusef Lateef, Kalaparusha Maurice McIntyre, Lawrence "Butch" Morris, Johnny Smith, Stan Tracey, Frank Wess, Chico Hamilton, Bernard Vitet, Idris Muhammad, Charlie Haden, Horace Silver, Clark Terry, Buddy DeFranco, Kenny Wheeler, Gerald Wilson,... 

Et maintenant Ornette... Celui-là aura été un grand ouvreur de portes, pour ceux qui avaient des oreilles pour entendre. Pour les autres, les obtus, ceux qui mettent tout dans des petites boîtes, il était l'éternelle épine au pied. Pendant plus d'un demi-siècle, la critique accumula les malentendus à son sujet, mais lui continuait son chemin, bâtissant une oeuvre imposante, rare, indispensable... Je me propose de vous en parler bientôt en remaniant un texte que j'ai écrit sur lui il y a quelques années. Je vous dirai seulement que j'ai découvert sa musique avec l'album Change of the Century: je me vois encore, adolescent, écouter pour la première fois le sublime et bluesy Ramblin'. Les titres de ses premiers albums annonçaient une musique révolutionnaire: Something ElseTomorrow is the Question, The Shape of Jazz to Come,... Vint ensuite l'écoute de Free Jazz, qui fit couler tant d'encre et (premier malentendu) donna son nom à tout un mouvement. C'est le genre d'oeuvre qu'on ne comprend pas tout de suite, mais plutôt progressivement, chaque écoute révélant des dimensions insoupçonnées... Et il est vrai que c'est une expérience qui ouvrit (encore) une porte où allaient bientôt s'engouffrer Coltrane, Shepp, Ayler et tant d'autres. S'il sut se faire plus rare dans ses dernières années (il y a près de 10 ans entre ses deux derniers albums et son plus récent, Sound Grammar, est paru en 2006...), j'eus quand même la grande joie de l'entendre en 2009 au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts. L'homme semblait déjà frêle, mais sa musique parlait d'elle même. 

Voilà, je vais essayer de vous parler de musique de temps en temps. Je vais probablement me consacrer à ce que j'aime le plus: écrire sur des musiciens négligés, des marginaux, bref explorer les recoins de l'histoire du jazz. J'espère que ça saura plaire à quelques-uns... 

(*) Thelonious Monk dit un jour qu'écrire sur la musique revenait au même que danser au sujet de l'architecture... Bien que cette citation ouvre des horizons intéressants, j'essaierai d'être le moins ennuyant possible... car je danse très mal.